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Dialogue interculturel avec des étudiants sur des questions tibétaines

25 juillet 2016 - Sidhbari, HP, Inde

Depuis plus de 20 ans des étudiants viennent à Dharamsala, sous l’égide du programme Gurukul, afin de recevoir une introduction détaillée à la spiritualité et à la culture tibétaines. Ils logent dans des monastères de nonnes et de moines et ils rencontrent également des artistes et des activistes tibétains. Les étudiants apprennent ce qu’il en est de quitter sa patrie, d’arriver dans un nouveau pays et de repartir de zéro, tout en continuant de travailler au bonheur du pays qu’ils ont quitté. Ils se familiarisent avec la philosophie bouddhiste, le gouvernement tibétain et les ONG.

 

Les étudiants ont également regardé « Le Rugissement du Lion », un film sur le XVIe Karmapa. Ils ont participé à des sessions interactives et le dernier jour, ils sont venus rendre visite au XVIIe Karmapa et lui ont posé des questions. Il a d’abord été demandé à Sa Sainteté de parler un peu de sa vie, puis il a ouvert la discussion avec les étudiants.

 

Voici la première question : Puisque le Karmapa est connu pour le soutien qu’il apporte à la protection de la nature et de la faune sauvage, pourrait-il nous donner quelques conseils pour avoir plus d’amour et de compassion envers eux?

Le Karmapa répond : « Je suis né dans un endroit isolé et j’ai vécu près de la nature ; j’ai pu ainsi en admirer la beauté. Notre mode de vie d’alors était très traditionnel et nous vivions en harmonie avec la nature. J’ai eu la chance de vivre proche de la nature et d’en avoir une expérience directe ; c’est ce qui explique ma motivation pour protéger l’environnement et la faune sauvage. »

Cette expérience de l’enfance est importante et très précieuse, note-t-il. Beaucoup de gens naissent en ville et y demeurent ; ils n’ont pas l’expérience du contact avec la nature. Il serait bénéfique qu’ils passent plus de temps dans la nature.

De plus, le Karmapa nous suggère d’essayer de comprendre la relation d’interdépendance qui existe entre nous-même et la nature, et l’importance qu’elle a pour nous et pour tous les êtres vivants. Si nous y parvenons, alors peu à peu notre amour et notre gratitude envers la nature iront croissant.

 

Une jeune fille fait le commentaire suivant : « Auparavant, je ne connaissais pas la superficie du Tibet ; je pensais que c’était un petit pays, alors qu’en fait il est vraiment grand. Je ne savais rien de toutes ses ressources naturelles dont certaines ont une utilisation très variée. Le Tibet est aussi la source principale de tous les fleuves d’Asie. Et nous avons appris à quel point il est important de protéger toutes ces ressources naturelles. » Sa Sainteté acquiesce.

 

Un des responsables du groupe dit : « On peut avoir le sentiment que les Tibétains en exil sont heureux et que tout va bien, mais on ne voit pas ce qui se passe au Tibet. »

Sa Sainteté répond qu’il y a une grande différence entre le Tibet qu’il a connu et le Tibet d’aujourd’hui. Lhassa a doublé de taille. « Mes amis me disent que quand on visite Lhassa, on a l’impression d’être dans une ville chinoise moderne. Ça ne ressemble pas au Tibet. Quand j’ai entendu ça, j’ai d’abord pensé que, d’un côté, c’était peut-être bien ; mais d’un autre côté, les gens vont à Lhassa parce qu’ils veulent voir le Tibet et pas une ville chinoise. »

Il ajoute qu’on peut se demander ce que ce changement laisse augurer pour  l’avenir. « Les changements arrivent très vite, et avec l’évolution des choses, les gens ont plus de désirs et plus d’argent. Ils veulent construire des maisons plus grandes, plus de routes, et acheter d’avantage de voitures. Il y a beaucoup de bouchons à Lhassa maintenant. Beaucoup de choses ont changé. Je crois que si je pouvais retourner au Tibet, je ne retrouverais pas le Tibet que je connaissais, naturel et pur. »

 

Un autre étudiant demande pourquoi les Tibétains n’ont pas recours à la violence puisqu’il s’agit de leur survie?

Le Karmapa répond que dans le monde contemporain, la violence est continuelle et qu’on entend tous les jours de mauvaises nouvelles aux informations.  « Récemment en Afghanistan, une bombe a tué 80 innocents ; on ne veut pas voir arriver ce genre de choses. Même si le Tibet est dans une situation critique, très difficile, je pense que nous avons toujours le choix entre différentes approches, différentes solutions. Ce n’est pas comme si nous devions adopter une certaine position et que nous n’avions qu’une seule solution. Je ne vois pas les choses comme ça. »

 

Une autre personne s’interroge : Au Tibet, il y a eu 144 cas d’auto-immolations. Dans le Xinjiang, des gens tuent des Chinois. D’un côté, ils commettent la violence contre eux-mêmes, de l’autre la violence contre les autres. Pourtant, dans la philosophie bouddhiste, les immolations sont considérées comme une forme de violence. Qu’en pensez-vous ?

 

Le Karmapa répond qu’il a déjà lancé de nombreux appels contre les auto-immolations. « Peut-être suis-je la seule personne à dire ceci et je suis un peu inquiet, mais c’est intolérable et je dois m’exprimer. Un grand nombre de gens se sont immolés par le feu, mais ces morts n’ont pas apporté le résultat escompté. Au niveau international, aucun pays ne s’en soucie vraiment et ce sont de précieuses existences humaines qui sont sacrifiées. La population tibétaine dans son ensemble est réduite; chaque individu a de la valeur et doit survivre pour la cause du Tibet. C’est pourquoi j’ai lancé un appel à plusieurs reprises pour dire que ce n’était pas le bon choix. » Parfois, les Tibétains du Tibet ne comprennent pas la situation internationale, explique le Karmapa, car ils ne sont pas correctement informés. « Ils ont l’idée fausse que s’ils font quelque chose, les gens à l’extérieur du Tibet vont les aimer et les soutenir. Ou bien ils pensent que la communauté internationale va prendre des mesures ou s’opposer à ce qui se passe au Tibet. Mais c’est pratiquement une illusion. Ils doivent comprendre que s’ils continuent de s’immoler, ils gaspillent leur vie. Ce n’est bon ni pour le Tibet, ni pour leur famille. Voilà pourquoi je pense qu’ils doivent choisir une autre méthode. Par ailleurs, certaines personnes font de bonnes choses. Ils étudient, peut-être même tout seuls, et ont ainsi une bonne éducation qui leur permet de servir leur communauté. Il nous faut adopter des moyens plus réalistes. »

 

La personne suivante demande au Karmapa quelle est sa position sur le Tibet : l’autonomie ou l’indépendance?

Il répond : « L’autorité de Sa Sainteté le Dalaï-Lama est très importante. Nous devons tous nous mettre d’accord et soutenir ses initiatives car c’est  sous sa direction que nous pouvons tous nous rassembler. L’unité nous donne un plus grand pouvoir. Si nous arrivons divisés en factions, je ne pense pas que nous obtiendrons le moindre résultat soit pour l’indépendance, soit pour la voie du milieu. C’est pourquoi je pense que les deux camps doivent se comprendre. Ils ne peuvent pas seulement se cramponner à leur propre vision des choses, mais ils ont besoin d’une vision plus large. »

 

La question suivante concerne la dégradation de l’environnement et le rôle des gouvernements.

Selon le Karmapa, de nombreux gouvernements refusent de croire que la question de l’environnement est un problème crucial. Ils dépendent du pétrole grâce auquel ils espèrent poursuivre leur croissance économique; ils sont réticents face aux changements. À court terme on peut ignorer ces questions, fait-il remarquer, mais à long terme c’est impossible. « Les scientifiques disent que l’avidité de l’homme est trop puissante, et que  même si nous avions trois ou quatre planètes ‘terre’, cela ne suffirait pas. L’avidité humaine n’a pas de limites, mais les ressources naturelles, si. Voilà le problème. »

 

La personne suivante demande : « Serez-vous le prochain Dalaï-Lama? »

Le Karmapa répond qu’il devrait produire un document officiel pour répondre à cette question car beaucoup de gens la posent et les médias s’en emparent également. Le Karmapa déclare : « Je ne peux pas être le prochain Dalaï-Lama. Le prochain Dalaï-Lama sera le XVe Dalaï-Lama, pas moi. Il vous faut aussi comprendre que je suis déjà le Karmapa, et être le Karmapa suffit. C’est une lourde responsabilité et je ne peux pas en assumer d’avantage. » Les gens disent aussi, poursuit-il, qu’après le décès du Dalaï-Lama, il poursuivra la tâche de ce dernier, c’est-à-dire d’être bénéfique à tous les Tibétains. Mais il n’y a pas à attendre jusque là pour qu’il s’engage dans cette voie. « Ce n’est pas comme cela. Ou alors ça devient presque comme les Chinois qui attendent que Sa Sainteté décède et qui pensent qu’alors le problème tibétain sera réglé. Ils n’admettent pas qu’il existe des problèmes tibétains ; ils pensent qu’il y a  seulement le problème du Dalaï-Lama. Ce n’est pas vrai. Après le décès de Sa Sainteté, la situation deviendra encore plus difficile car personne ne sera capable de la contrôler. »

Le Karmapa explique : « En ce qui me concerne, même si Sa Sainteté décède, je servirai. Ce n’est pas parce qu’on m’aura donné une autre fonction, mais parce que je suis l’un des très grands lamas du Tibet, peut-être le lama dont la réincarnation est la plus ancienne dans  l’histoire du Tibet. Voilà pourquoi j’ai une certaine responsabilité, pas seulement pour ma lignée, mais aussi pour le bien général du peuple tibétain. Je l’assume même maintenant. Il n’est pas besoin d’attendre le décès de Sa Sainteté pour lancer un programme ou faire des projets. Je le fais dès maintenant. »

Parlant du futur, le Karmapa remarque : « Nous avons déjà des hommes politiques qui sont élus par le peuple. Ils s’occupent de la partie politique de la vie tibétaine. Pour la partie religieuse, chaque lignée a son propre chef ; et je ne pense pas que quelqu’un qui n’est pas le Dalaï-Lama puisse être le chef de tous ces chefs spirituels. Ce n’est pas réaliste. »

À un niveau plus personnel, le Karmapa ajoute : « Même le XVe Dalaï-Lama aura du mal. Il est difficile de gagner un respect comparable à celui accordé au Dalaï-Lama actuel, connu pour l’ampleur de ses nombreuses activités. Le XVe Dalaï-Lama subira beaucoup de pression car les gens auront beaucoup d’attentes envers lui et diront : ‘Vous devriez être comme le XIVe Dalaï-Lama qui était comme ceci et a fait cela.’ Je crois qu’il sera très dur de supporter ce type de pression. Les attentes et la réalité sont très différentes. Je sais cela par expérience. »

 

La question suivante porte sur les Tibétains en exil. Ont-ils fait assez pour la cause du Tibet?

Le Karmapa note que 2018 marquera le 60e anniversaire de l’exil des Tibétains. Il est difficile de satisfaire tous les besoins, dit-il, mais « je pense que nous avons fait beaucoup. À tout Tibétain qui arrive du Tibet, nous offrons l’éducation et un toit. Peu nombreuses sont les communautés de réfugiés capables d’offrir cela. Malgré cela, je pense que beaucoup ne sont pas satisfaits et c’est aussi mon cas. Nous allons faire mieux mais ce n’est  pas toujours facile. La société indienne avance d’un pas plus lent. Des amis indiens me disent que l’Inde est comme un éléphant. ‘Pourquoi?’ ai-je demandé. Et ils répondent : ‘Parce que les éléphants bougent très lentement et ils sont très puissants.’ »

Le Karmapa commente ainsi : « Je pense que nous, les Tibétains, nous avançons assez lentement aussi. Les Tibétains ont tendance à se voir comme des réfugiés, ils restent coincés dans ce schéma, et pensent :’on ne peut pas faire grand’ chose parce qu’on est réfugié. On doit se contenter de moins.’ Nous devrions peut-être changer d’attitude car les jeunes aiment le progrès et ont besoin de nouvelles choses. C’est pourquoi de nombreuses personnes quittent les camps de réfugiés tibétains et s’installent dans toutes les régions du monde. Ils ne veulent pas rester ici. D’autres retournent au Tibet, et le flot de Tibétains du Tibet s’est presque tari ; alors il se peut que d’ici 10 ou 20 ans, il ne reste plus beaucoup de communautés de réfugiés en Inde. »

Revenant sur ses réflexions sur la lenteur du changement, le Karmapa observe : « Parfois je pense que nous devrions changer lentement. Même si le changement est une bonne chose, on peut avoir besoin de temps. Dans le passé, j’ai encouragé les gens à arrêter de manger de la viande, mais je n’aime pas donner des ordres aux gens. Les gens doivent clairement comprendre la raison pour laquelle ils font telle chose ; peut-être en viendront-ils à ressentir pourquoi le fait de ne pas manger de viande est significatif, et alors ils arrêteront. Autrement, ce n’est pas aussi significatif; c’est bien mais ce n’est pas parfait ; donc, dans ce cas, lentement c’est mieux. »

 

Avec la dernière question, il est demandé au Karmapa ce qui l’a inspiré et comment il a trouvé le temps de poursuivre ses activités artistiques.

Le Karmapa répond que beaucoup de gens pensent qu’il fait beaucoup de choses car il est le Karmapa. « Si je suis assez diligent, je vais peut-être m’améliorer. Parfois je fais de la peinture, de la poésie, des pièces de théâtre, des chants, de la musique ou du graphisme. Habituellement, je ne me vois pas comme un grand lama comme le Karmapa. Je me vois comme un serviteur, et c’est pour cela que je fais beaucoup de choses seul. C’est fatigant et pas facile mais je le prends comme une opportunité. Je ne pense pas que, puisque j’ai reçu le nom de Karmapa, cela veut dire que je suis quelqu’un d’important. Ce n’est pas comme cela. Avoir ce nom veut dire que j’ai l’opportunité de servir les gens. Merci. »

 

(Durant cet échange, le Karmapa s’est exprimé en anglais et ses paroles ont été légèrement éditées.)

Enseignements :

La Compassion et la Véritable nature de l'Esprit

Le Guide de l'Environnement du Karmapa

Les 108 choses à faire pour l'environnement

Les déplacements du 17ème Gyalwang Karmapa

Le retour de Karmapa aux U.S.A.

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Présentation du Karmapa aux Etats-Unis par Dzogchèn Ponlop Rinpoché, Principal organisateur de la venue du Karmapa aux Etats-Unis en 2008

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La vie en Inde

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L’arrivée du Karmapa à Dharamsala bénéficia d’une couverture médiatique extraordinaire dans la presse internationale : The Associated Press, Agence-France Press, The BBC, CNN, NBC, ABC, CBS, The Economist, Newsweek, Time, The New York Times, The Times of India, the Hindustan Times, et la plupart des autres médias du monde entier.