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Comment véritablement pratiquer le Soutra du Coeur? - Partie 3

16 août 2016 - Gurgaon, HY, Inde

Cet après-midi, le Karmapa continue le commentaire des huit sections et aborde le 5e point, la question posée par Sharipoura :

Fils de noble famille, comment devrait s’exercer un fils de noble famille ou une fille de noble famille qui désire pratiquer la profonde Perfection de Connaissance?

Le Karmapa recentre son commentaire sur deux expressions de cette phrase : ‘fils ou fille de noble famille’ et le ‘souhait de pratiquer’. Dans la première expression ‘fils ou fille de noble famille’ (en sanscrit kulaputra et kuladuhita), il choisit le mot ‘famille’ qui veut en fait dire ‘caste’ en sanscrit ; dans un contexte bouddhiste, il se réfère à ceux qui, nés dans le mahayana, sont devenus l’enfant du Bouddha, d’où fils ou fille de la famille ou de la lignée du Bouddha. Dans un commentaire sur le Soutra du Coeur, Haribhadra déclare que ‘famille’ indique ici les qualités qui permettent de s’éveiller ; ainsi ‘caste’ renvoie à des personnes qui peuvent s’engager parfaitement et pratiquer ce potentiel.

 

Même de nos jours, c’est une coutume indienne de mettre l’accent sur le système des castes. Par exemple, les membres de certaines castes s’adressent les uns aux autres avec les termes de ‘fils ou fille de noble famille’. Comme cette façon polie de s’adresser aux autres fait partie d’une vieille coutume indienne, Atisha dit dans son commentaire sur le Soutra du Coeur de la Connaissance que ‘fils ou fille d’une famille’ se réfère à ceux dont le but est l’illumination : ces individus ‘souhaitent pratiquer la profonde Perfection de Connaissance’ afin de devenir pleinement éveillés. Ils ont l’aspiration de pratiquer, mais ne sont pas encore sur le chemin du mahayana tout en ayant grand respect pour lui, et ils ont l’aspiration d’être bénéfiques aux êtres vivants avec une connexion au mahayana. La plupart des commentateurs de ce texte pensent que ‘noble famille’ ou ‘caste’ se réfère à ceux nés dans la famille du Bouddha ou la famille du mahayana.

Différentes lignées définissent les castes de diverses façons. Il y a aussi des discussions sur les quatre types d’êtres nobles : les auditeurs, les réalisateurs solitaires, les bodhisattvas et les bouddhas. Les écoles du mahayana, du madhyamaka, et de ‘l’esprit seul’ définissent les castes différemment. On peut aussi envisager les castes de deux façons, selon (1) les qualités innées, et (2) les qualités que l’on cultive.

 

Le Karmapa s’intéresse maintenant au mot ‘désir’, qu’il définit comme ‘avoir de l’espoir’ ou ‘vouloir faire quelque chose’. Ce que nous connaissons habituellement comme le désir, et le désir mentionné ici dans le soutra sont deux émotions différentes ou deux états d’esprit différents. Dans le bouddhisme, il existe un terme spécifique pour ce qu’on entend par désir insatiable ou avidité. Dans l’Abhidharma, le désir est mis à part et défini différemment de l’avidité. Le désir est un simple vouloir, un souhait de quelque chose, alors que l’avidité est un attachement fort aux objets mondains dont on ne peut se défaire. Néanmoins, nous sommes souvent incapable de faire la différence entre ces deux formes et les mélangeons. L’objet du désir est vaste et ne se limite pas aux choses mondaines ni même au dharma. L’avidité n’a pour objet que les choses mondaines, les différents plaisirs liés aux sens ou entre deux personnes.

 

Le fait de désirer le dharma n’est donc pas de l’avidité, et vouloir quelque chose n’entraîne pas non plus de souffrance. Par exemple, vouloir faire le bien d’autrui n’apportera ni douleur ni souffrance. Mais il est certain que l’avidité produit la souffrance. En bref, le désir est plus neutre, il peut être bon ou mauvais ; l’avidité  est assurément une perturbation. Le désir est plus pur, et l’avidité est négative. Cependant, évitons d’envisager le désir de façon trop compliquée, il pourrait se changer en avidité ; pensons-y simplement.

 

Le Karmapa aborde ensuite le terme ‘pratique’. Le soutra dit : « … pratique la profonde Perfection de Connaissance. » Les bouddhistes utilisent beaucoup ce mot. Que veut-il dire? Il nous est difficile de saisir son vrai sens et on peut le définir de plusieurs façons. Certains écrivains interprètent le terme en se basant sur les caractères eux-mêmes et disent que ‘pratiquer’ signifie ‘corriger sa conduite’. D’autres pensent qu’il renvoie à la pratique spirituelle, d’autres que c’est une façon de communiquer avec les dieux, les esprits et les bodhisattvas.

 

Pour examiner le sens, il nous faut étudier les deux caractères du mot chinois : Xiu veut dire ‘réparer, corriger’ ou ‘rendre correct’, et Xing veut dire ‘pratique, conduite’ ou ‘marcher’. En tibétain, Xing vient en premier (cho pa /spyod pa/), suivi de Xiu (che pa /spyad pa/), donc l’ordre est inversé par rapport au chinois. Que veut dire ce mot important Xing? Il signifie ‘utiliser prajna (la connaissance) pour réaliser la profonde vacuité’.

 

Les soutras du mahayana parlent souvent des trois aspects du dharma : la base, le chemin et le fruit. ‘La base’ renvoie au fondement théorique ou vue ; ‘le chemin’ à la sagesse qui reconnaît la base ; et ‘le fruit’ désigne le résultat de cette connaissance.

Le point essentiel expliqué dans le Soutra du Coeur est la vacuité, qui est la base du soutra. Mais si nous examinons le texte du soutra, nous voyons que Sharipoutra n’a pas posé de question sur la vacuité ; il a demandé comment doit s’exercer celui ou celle qui veut pratiquer la profonde Prajnaparamita? Sa question se place du point de vue du chemin.

Pourquoi Sharipoutra ne pose-t-il pas une question directement sur la vacuité et comment s’y exercer ? La première raison est que la base, qui est l’essence du mahayana, et la pratique du mahayana sont intimement liées. En tant que pratiquant du mahayana, il nous faut pratiquer la théorie ou la pensée du mahayana. En d’autres termes, il nous faut utiliser le chemin du mahayana pour faire l’expérience de la base du mahayana ; ce qui veut dire qu’on ne peut séparer théorie et pratique. Nous pensons souvent que la théorie est la théorie, la pratique est la pratique, et qu’elles ne sont pas liées. Cependant, il ne faut pas penser que la théorie du Bouddha est une manière de penser, quelque chose de conceptuel.

La pratique du mahayana est de faire l’expérience de la vacuité et de la réaliser. Donc, Sharipoutra a demandé à Avalokiteshvara comment s’exercer selon la méthode du mahayana, comment cultiver la connaissance selon le mahayana et permettre qu’elle se manifeste. Avalokiteshvara a répondu depuis la vacuité elle-même, ce qui indique que, pour que cette connaissance se manifeste, on doit réaliser complètement la vacuité.

De nombreux étudiants me demandent : « Je voudrais que ma sagesse se manifeste. » Ou bien « Je suis très stupide, pouvez-vous me rendre plus sage ? » Les gens croient que je peux pratiquer une opération, ouvrir leur cerveau et y insérer quelque chose comme une carte mémoire, et qu’ils deviendront très intelligents. Pour que se manifeste notre sagesse, la chose la plus importante est notre ‘vue’. Si vous avez la vue juste, alors peu à peu la sagesse se manifestera. Sans une vue ou une base correcte, il est peu probable que la sagesse apparaisse. Et nous ne pouvons pas utiliser notre intelligence mondaine car elle n’est pas comparable à la vraie connaissance, et elle n’est pas assez profonde. Donc, pour que la véritable connaissance se manifeste, il vous faut la vue juste.

Ici, Sharipoutra pose la question du point de vue de la connaissance, et Avalokiteshvara répond du point de vue de la vacuité. La vacuité est l’objet, et le sujet est la conscience; c’est comparable à la relation entre un pilier (l’objet) et la conscience visuelle (le sujet) qui le perçoit.

Lors de la première session, nous avons mentionné différents types de prajna ou connaissance. Prajna du chemin renvoie à la question posée par Sharipoutra, et  prajna de la nature renvoie à la réponse d’Avalokiteshvara et l’explication de la profonde vacuité. Ceci conclut la discussion de la première raison pour laquelle Sharipoutra n’a pas posé une question sur la vacuité mais voulait savoir comment s’exercer à la connaissance.

La deuxième raison a trait à la relation entre la théorie et la pratique. Comme disciple du Bouddha Shakyamouni, nous ne devrions pas trop mettre l’accent sur la théorie, mais plutôt insister sur comment mettre la théorie en pratique. Si on est trop axé sur la théorie, on devient un peu bizarre ; doucement, un fossé s’installe entre le dharma et notre pratique, et les questions assaillent notre esprit. Il nous faut donc utiliser les théories, les mettre en pratique, pas seulement les garder dans notre tête. Nous devons utiliser notre esprit pour véritablement faire l’expérience de la philosophie, et alors nous pouvons éliminer les doutes. C’est pourquoi Sharipoutra a demandé comment pratiquer, et non ce qu’est la vacuité.

 

Dans le Soutra du Coeur, on nous enseigne une méthode pour nous aider à travailler sur l’esprit. Ce qui est important, c’est de voir si on a travaillé sur notre esprit. Si nous avons lu de nombreux soutras et que, malgré tout, notre esprit n’a pas changé, ne s’est pas amélioré, alors c’est vraiment dommage. C’est si triste que ça vous donne envie de pleurer. Dans un soutra, il est dit que la théorie et la pensée ne sont que des méthodes qui nous permettent de cultiver ou de rendre manifeste notre connaissance.

 

La troisième raison pour la question de Sharipoutra est liée au texte de Maitreya, l’Ornement de la Claire Réalisation, qui est hautement considéré au Tibet et qui traite de sujets comme les 18 catégories de la vacuité, etc. Ce texte suggère diverses façons d’analyser la vacuité et de révéler ce qui n’est pas vu.

On trouve, en Inde, de nombreux soutras de la Prajna paramita; le plus long contient plus de trois millions de mots, d’autres ont 100 000 versets, d’autres en ont 20 000, 18 000 ou 8000, et il y en a bien d’autres. En Chine, le Soutra de la Prajna paramita le plus long et le plus complet est celui en 600 fascicules ou volumes traduit par Xuanzang ; il y a aussi les soutras en 100 000 et 25 000 versets, et d’autres.

Tous les soutras présentent la vacuité; ils montrent les étapes de sa réalisation, tout le chemin à parcourir depuis un esprit ordinaire jusqu’à l’état de bouddha. Il y a de nombreux soutras différents, différents niveaux de détails et des nombres de versets différents. Toutes les étapes qui décrivent le chemin complet qui mène à la vacuité ne se trouvent que dans les soutras plus longs, comme ceux qui ont 10 000 ou 8000 versets. Le Soutra du Diamant et le Soutra du Coeur sont plus courts, et bien qu’ils suggèrent comment pratiquer la vacuité et développer la connaissance, ils n’expliquent pas le processus en détail ; il n’y a pas de modèle à suivre pour devenir bouddha.

 

En bref, ce qu’il nous faut savoir est que le mot Xiu signifie que nous devons correctement exercer notre esprit. Comment corrigeons-nous notre esprit ? Nous approfondissons notre compréhension de la théorie de la vacuité mais nous ne nous arrêtons pas là ; la théorie doit avoir un certain impact sur notre esprit. Xing signifie que nous devons exercer notre esprit avec la méthode qui s’appuie sur la compréhension de la vacuité. Nous utilisons la sagesse issue de la compréhension de la vacuité pour exercer notre esprit. La vacuité n’est pas simple théorie ; il faut que la compréhension de la vacuité fasse partie de notre vie quotidienne.

 

Maitreya expose les trois activités d’un bodhisattva, mais elles seraient difficiles pour un débutant ; aussi quelqu’un qui débute sur le chemin du bodhisattva peut pratiquer les dix activités du dharma : (1) recopier les mots du dharma, (2) faire des offrandes, (3) écouter le dharma, (4) être généreux, (5) lire le dharma, (6) mémoriser le dharma, (7) expliquer le dharma, (8) réciter le dharma, (9) contempler le dharma, (10) méditer le sens du dharma. Ce soir, nous pratiquerons ensemble la première - recopier les mots du dharma -, nous copierons le Soutra du Coeur.

 

Le bouddhisme propose de nombreuses méthodes pour pratiquer, mais si nous ne pratiquons pas avec diligence, ces méthodes sont inutiles. Comme mentionné précédemment, les maîtres Kadampa disaient que tout dharma doit être pratiqué aujourd’hui même. Il nous faut avoir l’attitude : « Ma chance, c’est maintenant. Je crée mon avenir à cet instant même. » Si vous ne vous efforcez pas de comprendre le mahayana, alors, même si le dharma est très efficace, il n’aura absolument aucun impact sur nous.

 

En nous inspirant du sens du terme Xiu Xing, nous savons que nous devons nous appliquer à  comprendre la vacuité avec diligence. Vous êtes venu de loin, avez dépensé de l’argent pour être ici et recevoir l’explication du Soutra du Coeur. Le plus important est que, quand vous rentrerez chez vous, vous poursuiviez vos efforts pour apprendre à connaître la vacuité. Voici la vraie façon de pratiquer le Soutra du Coeur.

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