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Les Trente-sept pratiques d’un bodhisattva (suite)

 29 mai 2018 - Riverside Church, New York, NY

Ce mardi après-midi, le Karmapa continue son enseignement sur les trois types d’individus et leur chemin ; il s’intéresse maintenant au chemin des individus de capacité supérieure. « Parmi ces trois chemins (inférieur, moyen et supérieur), le chemin de l’individu supérieur occupe la plus grande partie du texte. »

« Dans ce texte, le chemin de l’individu inférieur est présenté fondamentalement comme l’abandon de tout acte négatif, qui est motivé par la crainte des souffrances des renaissances inférieures. Bien qu’il y ait de nombreuses pratiques sur ce chemin inférieur, cet aspect est ce que le texte souligne.

Parallèlement, le chemin intermédiaire est présenté comme le chemin de ceux qui  cherchent la libération de tout le samsara car ils savent que les trois niveaux d’existence ou mondes - en bref, l’ensemble du samsara - sont des états de souffrance. Au contraire, quelqu’un sur le chemin supérieur recherche la réalisation de l’omniscience - un état de bouddha qui est au-delà du samsara et du nirvana - le chemin intégrant la vacuité et la compassion.

La présentation du chemin supérieur est divisé en deux phases : la première est la présentation de l’intention vaste de bodhicitta. Et la bodhicitta elle-même est présentée en deux sections : le développement de la bodhicitta relative et le développement de la bodhicitta absolue. »

 

La session de l’après-midi commence par la présentation de la bodhicitta relative (strophes 10 et 11).

La strophe 10 dit ceci :

Quand ceux qui, depuis des temps sans origine, furent une mère pour moi et m’ont témoigné leur amour, sont dans la souffrance, que vaut mon propre bonheur ? C’est pourquoi engendrer la bodhicitta (ouverture du cœur) afin de libérer l’infinité des êtres est la pratique d’un bodhisattva.

Ce qui est décrit ici est la manière de développer la bodhicitta relative dans la pratique de la méditation : les étapes qui culminent dans la pratique de l’échange de soi et d’autrui. On commence par se rappeler les nombreuses raisons pour lesquelles on trouve les êtres agréables, comme le fait qu’ils ont tous été notre mère aimante, etc. Et l’on cultive cette attitude où l’on trouve les êtres dignes d’affection jusqu’à ce qu’elle culmine dans le grand amour impartial. Puis, sur cette base, nous cultivons le désir de les libérer de toute souffrance - qui est la compassion -, et ceci culmine dans la capacité ou le fait d’être prêt à échanger réellement notre propre bonheur ou bien-être pour la souffrance des autres.

 

La strophe 11, la deuxième strophe traitant de la bodhicitta relative, décrit comment mettre en œuvre la bodhicitta relative une fois que nous avons la volonté et la capacité de vraiment échanger notre bonheur pour la souffrance des autres.

Toutes les souffrances procèdent de mon désir de bonheur ; le complet état de bouddha naît de l’esprit altruiste. Procéder au parfait échange de mon bonheur contre les souffrances d’autrui est donc la pratique d’un bodhisattva.

Sa Sainteté explique que nous pouvons considérer cette strophe comme la présentation de comment appliquer notre pratique dans la post-méditation ; en particulier, elle nous montre comment répondre à l’adversité de façon appropriée, en la transformant en chemin. L’idée est que, dans la post-méditation, quand nous concluons une session de pratique formelle, au lieu de laisser la pratique dans le temple, nous pouvons l’emporter avec nous et nous entraîner à voir que la souffrance d’autrui est au moins aussi importante que la nôtre. Le Karmapa commente : « A ce stade, vous voulez bien sacrifier votre propre bonheur pour soulager la souffrance des autres. »

« Ces deux strophes décrivent différentes étapes du développement de la bodhicitta, essentiellement grâce à l’absorption méditative.

 

Ensuite, les strophes 12, 13, 14 et 15 décrivent comment, dans la post-méditation, nous apprenons à transformer quatre sortes d’adversité, ou les quatre circonstances indésirables, en des aides sur le chemin.

La première de ces quatre circonstances est décrite dans la strophe 12 quand il est dit :

Que quelqu’un, sous l’emprise d’un puissant désir, me vole toutes mes richesses ou pousse un autre à me les voler, lui dédier mon corps, mes biens et mes vertus des trois temps est la pratique d’un bodhisattva.

Ceci décrit comment amener sur le chemin la situation de perte, qui peut être également matérielle.

 

Puis la strophe 13 dit :

Même si, sans que je ne lui aie causé aucun mal, quelqu’un voulait me trancher la tête, prendre sur moi, par compassion, ses actes négatifs est la pratique d’un bodhisattva.

« Ceci décrit comment gérer la situation de souffrance physique causée par l’agression d’autrui. »

 

La strophe 14 dit :

Même si quelqu’un répand dans l’univers entier toutes sortes de critiques à mon encontre, prononcer, sous l’effet de l’amour, l’énoncé de ses qualités est la pratique d’un bodhisattva.

« Ceci décrit la réaction appropriée face à la troisième circonstance indésirable, c’est-à-dire la calomnie ou la médisance. »

 

« Puis la strophe 15 ajoute :

Même si, au sein d’une nombreuse assistance, quelqu’un révèle mes fautes secrètes et prononce des paroles dures contre moi, le considérant comme un ami spirituel, m’incliner devant lui avec respect est la pratique d’un bodhisattva.

« Ceci décrit comment amener la critique et les insultes verbales sur le chemin. »

Le Karmapa remarque que nous sommes habituellement extrêmement attaché à la louange et peu disposé envers le manque de respect, attaché au profit et peu disposé envers la perte, attaché au plaisir et peu disposé envers la douleur, et nous avons plus de désir pour toutes les choses auxquelles nous sommes attaché. Ce vers nous dit que nous devrions être libre d’envie envers toutes ces choses.

« Les mots sont faciles à comprendre, mais il est plus difficile de les mettre en pratique, » explique le Karmapa. « Afin de suivre effectivement le chemin du bodhisattva, nous ne devrions pas faire trop grand cas des expériences temporaires de plaisir et de douleur. En ce sens, l’apprentissage du bodhisattva est difficile. Il demande beaucoup de courage et de confiance, qui ne naissent pas de rien mais viennent d’un entraînement graduel. Ce n’est pas parce que nous adoptons le dharma du Mahayana, que soudain nous devenons des bodhisattvas courageux. Nous devons en passer par un processus d’apprentissage et d’étude rigoureux. »

 

Les deux strophes suivantes, 16 et 17, décrivent comment amener sur le chemin ce qu’on appelle les deux intolérables. Ce sont deux choses que nous trouvons normalement intolérables. La première - être trahi - est décrite dans la strophe 16 :

Même si celui dont j’ai pris soin avec amour comme s’il était mon fils se met à me regarder en ennemi, l’aimer encore d’avantage, à la manière d’une mère dont l’enfant est frappé de maladie, est la pratique d’un bodhisattva.

 

Puis la strophe 17 décrit une autre chose que nous trouvons normalement intolérable, c’est-à-dire le dénigrement ou le manque de respect de la part d’une personne qui est notre égal ou qui est censée être inférieure :

Qu’un égal ou un inférieur, pris par l’orgueil, en vienne à me mépriser, avec beaucoup de respect le placer comme lama au-dessus de ma tête est la pratique d’un bodhisattva.

 

Les strophes suivantes, 18 et 19, vont ensemble car elles présentent comment amener sur le chemin des situations de grande perte ou de prospérité sans précédent.

La strophe 18 dit :

N’avoir plus de quoi vivre, être dédaigné des humains, être frappé de maladie et attaqué par les démons, et pourtant, sans se replier sur soi-même, prendre sur soi les négativités et les souffrances de tous les êtres est la pratique d’un bodhisattva.

 

La strophe 19 traite d’amener la prospérité sur le chemin :

Être célèbre et recevoir l’hommage de beaucoup, être aussi riche que le fils du Dieu de la Fortune, tout en demeurant sans vanité dans la connaissance que la gloire et les biens de ce monde n’ont pas de réalité est la pratique d’un bodhisattva.

« Ces deux strophes, prises ensemble, soulignent que, que nous fassions l’expérience d’une prospérité inhabituelle ou d’une perte inattendue, nous ne devons pas laisser un changement de situation endommager notre bodhicitta. »

 

« Les strophes 20 et 21 vont aussi ensemble et décrivent comment transformer l’attachement et l’aversion et les amener sur le chemin.

La strophe 20 concerne la colère et comment la surmonter :

Si l’on ne domine pas l’ennemi qu’est sa propre colère et qu’on veuille soumettre les ennemis extérieurs, on ne fera que les multiplier. C’est pourquoi, grâce à l’armée de l’amour et de la compassion, dominer son propre esprit est la pratique d’un bodhisattva.

 

Et la strophe 21 dit :

Les plaisirs des sens sont semblables à l’eau salée ; plus on en absorbe, plus la soif augmente. Rejeter immédiatement les objets d’où procède l’attachement est la pratique d’un bodhisattva.

« Ces deux strophes montrent qu’un attachement obsessionnel, ainsi que la colère ou l’aversion peuvent également endommager notre bodhicitta. Nous devrions les en empêcher en reconnaissant le problème posé par ces deux perturbations, et chercher à les amener sur le chemin en évitant de faire une fixation sur l’objet qui excite une perturbation particulière. »

Sa Sainteté explique que ces sections du texte décrivent le développement de la bodhicitta relative dans la méditation et dans la post-méditation ; elles sont suivies d’une section sur le développement de la bodhicitta absolue, que nous laisserons pour demain. En fait, la bodhicitta que nous cherchons à développer est la bodhicitta relative. La bodhicitta absolue est le résultat ; c’est la sagesse qui réalise la vacuité. Mais ceci ne peut apparaître que par le développement de la bodhicitta relative. Ainsi, quand nous parlons de bodhicitta en soi, nous voulons généralement dire la bodhicitta relative. »

 

Puis, Sa Sainteté parle brièvement de l’interdépendance, un de ses sujets de prédilection et le thème de son dernier livre Interconnected : Embracing life in our global society. Il déclare : « En vivant dans ce monde du 21e siècle, que l’on en est venu à appeler l’ère de l’information, nous pouvons voir, bien mieux que jamais auparavant, comment chacun d’entre nous est interconnecté avec les autres. La connexion intime et profonde entre chaque personne et chaque lieu est devenue plus évidente que jamais auparavant, en raison de la technologie, des media sociaux, etc. Chaque personne n’est pas vraiment indépendante car notre bonheur et notre souffrance dépendent du bonheur et de la souffrance d’autrui.

Si nous ne parvenons pas à comprendre ceci, nous augmentons notre propre souffrance et celle des autres, ainsi que notre propre égoïsme et les problèmes que nous causons aux autres. L’instinct de préservation est bien sûr nécessaire, mais le problème apparaît quand ce sentiment devient exclusif et excessif : il devient une limitation parce que nous nous préoccupons seulement de nous-même et nous ne tenons absolument pas compte de la situation et des sentiments des autres. Nous ne tenons pas compte du fait que notre existence même - sans parler de notre bonheur - dépend entièrement des autres. Aussi est-il très important de comprendre l’interdépendance, » ajoute-il avec insistance.

Puis, revenant au texte, il précise : « Vous noterez que dans notre texte, le développement de la bodhicitta est enseigné comme la pratique qui intègre à la fois l’absorption méditative et la réalisation qui s’ensuit, autrement dit la méditation et la post-méditation. Il est très important que notre pratique dans la post-méditation soit complètement reliée avec notre pratique méditative sur le coussin. Les progrès ne viendront que si nous pratiquons les deux combinées. Par exemple, beaucoup de gens pratiquent ‘tonglen’ ou ‘prendre et donner’. A la base, c’est un acte purement imaginaire : par la pratique, nous prenons la souffrance des autres et leur donnons notre bonheur. On dit que de grands maîtres peuvent effectivement prendre la souffrance des autres et leur donner leur propre bonheur et leurs vertus ; mais, pour la plupart d’entre nous, cette pratique est un simple acte d’imagination, que nous faisons consciemment afin d’entraîner notre esprit, d’accroître notre compréhension et notre empathie, et de nous entraîner à faire passer les autres en premier. A la base, cette pratique d’imagination est en fait la préparation à la post-méditation. Donc, si, après avoir fait ‘tonglen’ comme pratique méditative, on lui tourne le dos dans la post-méditation en faisant exactement le contraire - en essayant de prendre le bonheur des autres et de leur donner notre souffrance en échange - ça va simplement ne pas marcher. Pour que cet apprentissage fonctionne, l’application qu’on en fait dans notre post-méditation doit correspondre à notre pratique méditative. »

Bodhicitta : le choix sans choix

Poursuivant l’enseignement de la matinée, le Karmapa utilise sa propre vie comme exemple poignant pour illustrer le fait que le seul choix que nous ayons vraiment est d’appliquer la bodhicitta à toute situation.

« Si je prends mon propre exemple, parce que je porte le nom de Karmapa, beaucoup de gens me considèrent comme un bouddha sous une forme humaine. Et c’est peut-être la façon dont ils me perçoivent ; mais en ce qui me concerne, je pense que je suis juste comme tout le monde. En fait, j’ai des problèmes que d’autres gens n’ont pas, j’ai fait face à de nombreux défis, et j’ai déjà eu beaucoup de hauts et de bas ; mais, pour l’essentiel, je me contente de continuer, ce qui, pour moi, veut dire que je continue de faire comme si j’étais le Karmapa. Qu’est-ce qui me fait continue ? Je suppose que c’est une forme de courage. Les gens me demandent ‘Comment gérez-vous ces situations ?’ Certains croient que je les gère car j’ai des pouvoirs divins ou du moins car je fais quelque pratique intérieure extraordinaire. Mais ce n’est pas ce que je ressens. Une pratique extraordinaire découle du fait de beaucoup pratiquer. En fait, la façon dont je gère tout ça est très simple : je n’ai pas le choix. Je n’ai pas d’autre option. Je n’ai aucun choix sinon de continuer. J’ai fait l’expérience que, d’un certain côté, l’absence de choix, le fait de n’avoir aucune autre option, peut être une aide. Car au milieu de toutes nos expériences - où on génère l’attachement et l’aversion, où on gère ce que nous aimons ou n’aimons pas, ce que nous voulons entendre ou ne voulons pas entendre, etc. - nous cherchons souvent, dans ces situations, une excuse qui nous permettrait d’y réagir avec nos kleshas.

Dans la pratique, il n’y a véritablement aucune excuse pour les kleshas. Parce que, au final, la pratique - en particulier le développement de la bodhicitta décrite ici dans le texte - n’offre pas de choix. Vous cultiver la bodhicitta parce qu’il n’y a pas d’autre option. Il n’y a rien d’autre à faire. Il me semble que cet apprentissage revient à nous arrêter de chercher des excuses. Nous sommes très fort pour justifier des choses dont nous savons que nous ne devrions pas les faire, quand en fait, il n’y a aucune vraie raison de les faire dès le début. Et bien sûr, nous nous leurrons nous-même avec ces faux-fuyants. »

 

La session se conclut avec la dédicace et des prières de souhaits.

Enseignements :

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