Une vision plus large
24 juin 2016 – New Delhi
Au XXIe siècle, la question de l’environnement est la plus problématique des questions auxquelles nous sommes confrontés. Si l’on ne fait rien, ce sera désastreux pour la prochaine génération. Grâce à leurs recherches, les scientifiques ont rassemblé beaucoup de données approfondies mais ceci ne suffira pas à faire évoluer les mentalités. Nous stockons les renseignements dans notre cerveau mais ils n’arrivent pas jusqu’à notre cœur ou notre esprit ; c’est pourtant ce qui pourrait apporter un changement. La connaissance seule ne suffit pas : nous devons lui permettre de modifier notre façon de penser.
La situation est similaire avec le tabac. Tout le monde sait que fumer est dangereux pour la santé - des avertissements sont même imprimés sur les paquets de cigarettes - mais ce n’est pas suffisant pour se défaire de l’habitude de fumer. Les fabricants de cigarettes, comme ils ont mis un avertissement sur les paquets, pensent qu’il ne leur incombe pas d’en faire davantage. Leur intérêt est de promouvoir le produit, pas de protéger la santé de la population.
Pour nous amener à modifier notre relation à l’environnement, il est important que scientifiques et responsables religieux aient des contacts et travaillent ensemble; les scientifiques apportent l’information et les responsables religieux donnent des conseils qui s’adressent à notre cœur. Cette collaboration entre scientifiques et religieux sera un soutien pour les militants environnementaux et donnera de l’ampleur à leur activité.
Le Karmapa raconte que de sa naissance jusqu’à l’âge de sept ans, il a grandi dans un environnement naturel où le progrès moderne était inconnu et le mode de vie traditionnel. Les gens vivaient en harmonie avec leur environnement pour lequel ils avaient un respect naturel. Ce mode de vie a laissé en lui une impression durable.
Cela fait maintenant quelques années que le Karmapa parle de l’environnement et encourage les gens à prendre conscience de la situation, mais il n’a pas fait tout ce qu’il souhaitait. De nos jours, beaucoup de gens vivent en ville, loin de la nature. Quand il était aux États Unis, il a entendu dire que, dans les livres, il y a de moins en moins de mots qui ont trait au monde naturel. Pourtant des chercheurs ont découvert que quand les citadins vont dans des parcs - l’environnement naturel qui s’offre à eux, même s’il a été créé par l’homme – ils en retirent un bienfait pour leur état mental et ça leur procure un sentiment d’aise. Mais dans les textes écrits, ce sont les mots liés à la technologie et aux machines qui sont en plus grand nombre.
« Comme nous l’avons vu, pour susciter un changement, l’information ne suffit pas; ce que nous devons transformer, c’est notre motivation - ce qui nous fait vraiment bouger. Puisqu’il y a un lien entre l’environnement et la façon dont nous vivons notre vie, tant que nous n’avons pas changé notre motivation, il nous sera difficile de changer notre attitude envers l’environnement. »
L’essentiel est de limiter nos désirs et d’accroitre notre contentement, et de ces deux, le contentement est le plus important. Quand on parle de diminuer les désirs, la question qui suit est : jusqu’où doit aller cette diminution? Que veut dire ‘peu’ dans l’expression ‘avoir peu de désirs’? Est-ce que ça veut dire qu’on n’a plus de désir du tout? La formulation aussi est problématique.
Dans le monde moderne, le consumérisme est devenu la nouvelle religion en laquelle nous plaçons notre foi; la conséquence en est qu’on ne voit pas la différence entre ce dont nous avons besoin et ce que nous désirons. En fait nous avons besoin de très peu, mais nous voulons tout. Des scientifiques ont expliqué que même si nous avions trois ou quatre planètes, ça ne suffirait toujours pas à satisfaire nos désirs, ce qui crée une situation très difficile ; en effet, nos désirs n’ont pas de limites, alors que les ressources naturelles sont limitées et qu’il est impossible qu’elles pourvoient à tous nos désirs. Il faut donc apprendre à nous satisfaire de ce que nous avons.
Le Karmapa explique: « Dans la vie quotidienne, tout ce que nous faisons a un impact direct sur l’environnement, et nous devrions y réfléchir de façon pratique. Être militant, aller à des manifestations ou assister à plusieurs jours de conférence, tout ceci en soi n’aidera pas vraiment la situation. Au lieu de cela, nous devons y faire face dans notre vie quotidienne. »
Arrêter de manger de la viande et devenir végétarien est l’une des meilleures choses que l’on puisse faire pour l’environnement. Le Karmapa explique qu’il n’a parlé de ce sujet officiellement qu’une seule fois et c’était au Kagyu Meunlam. Il avait eu l’intention d’en parler le premier jour mais il était un peu réticent à l’idée de dire aux gens ce qu’ils devaient faire; aussi ça n’est arrivé que le dernier jour quand un groupe tibétain de défense des animaux lui a demandé de parler du thème du végétarisme. Il en a parlé avec peut-être plus de force qu’il n’en avait eu l’intention; mais d’un autre côté, si l’on parle de quelque chose, autant le faire avec conviction, sinon ce n’est pas vraiment la peine.
Si nous décidons d’arrêter de manger de la viande, nous devons prendre cette décision en accord avec qui nous sommes. Dans le cas du Karmapa, il est bouddhiste et Kagyu; il faut aussi qu’il y ait un lien avec le mode de vie de chacun. Dans sa présentation, il mentionne également le fait que d’arrêter de manger de la viande serait bénéfique à sa force vitale et à sa longévité.
Autrefois au Tibet, il était difficile d’être végétarien car il y avait peu d’endroits où on pouvait faire pousser des légumes et les gens consommaient des laitages. Néanmoins, certains Tibétains arrêtaient de manger de la viande et parmi les Kagyu, le VIIIe Karmapa, Mikyeu Dorjé, était végétarien, et il a même déclaré: « Si vous mangez de la viande, vous n’êtes pas Kagyu. » Quand cette citation a été mentionnée en-dehors du Meunlam, elle a été attribuée au Karmapa actuel, ce qui était une déclaration très forte venant de lui.
Même si sa nourriture préférée est la viande, le Karmapa voulait faire quelque chose de significatif et il est donc devenu végétarien, ce qui lui donne une grande satisfaction. Mais il n’oblige personne autour de lui à faire de même ; chacun doit faire son propre choix. Au restaurant, il leur commande même de la viande. Si nous mangeons de la viande cependant, nous devons penser aux animaux et aux conséquences sur l’environnement. Parfois, ça peut être difficile si vous êtes le seul végétarien de la famille et qu’on doit vous préparer de la nourriture spéciale ; ou bien si vous devez cuisiner de la viande pour d’autres, ça peut vous mettre mal à l’aise. Le Karmapa nous rappelle que nous devons y réfléchir et prendre notre propre décision. Si nous nous soucions de l’environnement, alors arrêter de manger de la viande est une des décisions que nous pouvons prendre.
Session de questions/réponses
La première question porte sur les bénédictions; que sont-elles?
Le Karmapa répond que, souvent, les gens pensent que les bénédictions sont quelque chose de secret que nous ne pouvons pas voir, mais il y a en fait une façon de les comprendre qui est claire. Nous pouvons penser à un petit enfant dans les bras de sa mère ou près de quelqu’un dont il sait qu’il est aimé; ce sentiment d’être en sécurité ou d’être heureux est semblable à une bénédiction. Même s’il n’y a rien que l’on puisse voir, grâce à la puissance, au charisme ou à l’amour de cette personne, l’expérience de l’enfant s’en trouve transformée.
« Parfois, quand je suis en route pour aller rendre visite à un lama, mon esprit est un peu tendu ou pas tout à fait apaisé, mais quand je repars de chez lui et rentre chez moi, mon esprit est plus calme et joyeux. Voilà ce à quoi ressemblent les bénédictions. » Une présence forte et attentionnée peut modifier notre expérience. Les bénédictions, ce n’est pas être frappé par une puissante énergie, comme les gens le disent de nos jours.
La deuxième question porte sur le fait que le Dharma devient quelque chose de commercial. Qu’en pense le Karmapa?
Le Karmapa répond que ce n’est pas spécifique au bouddhisme, tout est plus commercialisé - la politique s’inquiète du bilan, les hôpitaux cherchent à faire de l’argent avec leurs traitements, etc. Puisque le bouddhisme fait partie intégrante de ce monde, il sera naturellement influencé. Il est aussi vrai que tous les bouddhistes ne sont pas riches, et ils n’ont parfois pas le choix. Quand on pense au bouddhisme et aux affaires, il nous faut également prendre en compte la totalité de la situation. On ne peut pas dire d’entrée de jeu que ceci est bon ou que c’est mauvais. L’important est de ne pas perdre de vue les principes essentiels du bouddhisme et de les tenir comme plus importants que n’importe quelle affaire qu’on est en train de conclure.
« Ce qui me préoccupe d’avantage, c’est qu’on enseigne la méditation bouddhiste, en particulier à l’étranger, en dehors du contexte de la foi et de la dévotion au dharma. Les gens pensent seulement à comment obtenir des bienfaits pour eux-mêmes en générant des états d’esprit heureux. » La méditation est en train de devenir un produit marchand ou un sujet pour des projets de recherche. Ceci ressemble à ce qui est arrivé au yoga qui, dans l’Inde ancienne, n’était pas seulement un exercice physique, mais un profond entraînement de l’esprit. Pour les bouddhistes, il est primordial de ne pas perdre les principes essentiels du bouddhisme.
La question suivante porte sur le don d’organes après la mort.
Le Karmapa répond : « Cette question se rapporte au vajrayana. Donner ou non dépend de notre bodhicitta - notre résolution de donner pour le bien d’autrui. Si celle-ci est forte et bien en place avant que nous mourions, alors je ne vois pas de problème. Le bodhisattva Grand Corps donna son corps à la tigresse alors qu’il était encore en vie sans se préoccuper de l’état de ses prana, nadi et bindu. » Faire don de nos organes avec une motivation altruiste est vraiment ce qui compte.
La question suivante traite de divination et d’astrologie. Est-ce qu’une divination peut changer votre destinée karmique?
Le Karmapa répond qu’il a parfois eu recours aux divinations, par exemple, avant de quitter le Tibet. La pratique des divinations est une pratique tibétaine spéciale. Elles peuvent être utiles quand les gens sont coincés et n’arrivent pas à prendre une décision. Par exemple, au Kagyu Meunlam, nous avons eu de multiples réunions pour savoir si on devait distribuer les offrandes pendant les rituels. Nous n’arrivions pas à nous décider ; on m’a alors demandé de faire une divination, et quel qu’en soit le résultat, il serait accepté. Dans le mode de gestion moderne occidental, il n’y a rien de semblable et les questions doivent être débattues jusqu’à la décision finale.
Est-ce qu’une divination peut changer notre destinée karmique, c’est difficile à dire. Ce qui doit véritablement changer, c’est notre caractère. Si nous pouvons le transformer, alors notre destinée karmique en sera changée. Changer notre caractère ne veut pas dire modifier notre apparence, notre comportement ou notre façon de parler; ça implique un changement fondamental dans notre façon de penser ou d’être. Si une personne change ainsi, son karma peut aussi être modifié.
Les divinations sont liées à des individus ou des situations spécifiques; alors, savoir s’il convient de faire une divination est une question très délicate. Dans le bouddhisme, les enseignements sur le karma sont complexes et subtils, et il n’est pas du tout facile de prédire ce qui arrivera dans le futur. Ça ressemble aux difficultés qu’on rencontre avec les prévisions météorologiques, avec tous les changements dus au réchauffement climatique, ou bien avec la prévision des tremblements de terre.
La question suivante vient de parents qui évoquent les difficultés qu’ils ont avec leur enfant homosexuel.
Le Karmapa répond qu’il a parlé de ce sujet plusieurs fois. De nombreuses religions, et probablement aussi le bouddhisme, interdisent l’homosexualité. Cependant, pour le dire simplement, que les gens aient le même sexe ou non, ce qui compte vraiment est le véritable amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Si des gens se rencontrent et que leur cœur est touché, s’ils vivent ensemble avec amour et affection, il n’y a pas de problème. Dans le bouddhisme, on encourage les gens à être aimant et affectueux, aussi si les cœurs et les esprits sont en harmonie, vivre ensemble, c’est bien.
Cependant, il peut arriver qu’à un niveau individuel, des gens vivent ensemble essentiellement sur la base du désir et de l’attachement; une telle relation ne durera pas longtemps car ces sentiments sont instables et susceptibles de changer à tout moment. De façon plus profonde, dans le bouddhisme en général, nous cherchons à abandonner le désir et l’attachement ; aussi des relations qui les entretiennent seraient à l’opposé. En résumé, d’un côté il y a les religions qui sont opposées à l’homosexualité - considérée aussi comme problématique dans le bouddhisme -; d’un autre côté, s’il y a de l’amour et de l’affection, je pense que ça va.
La dernière question : Comment se préparer à la mort quand on est encore en vie?
Le Karmapa répond qu’il y a diverses façons, et l’une des plus efficaces est d’imaginer qu’une journée représente une vie entière. Le matin, au réveil, nous prenons naissance et le soir, quand nous nous allongeons pour dormir, c’est notre lit de mort. Une autre méditation sur la mort est de penser à ce que sera la situation autour de nous quand nous mourons. Qu’arrivera-t-il à notre corps? Quelle sera la situation? En travaillant avec cette idée, il y a même des gens qui se couchent dans un cercueil et y passent la nuit avec le couvercle fermé.
Tous les jours, nous rencontrons la naissance et la mort qui viennent toujours ensemble, comme le lever et le coucher du soleil. Si nous pouvons approcher la mort quotidiennement, elle nous deviendra familière et plus elle est familière, moins nous en avons peur. C’est le bienfait issu de la méditation sur la mort et sur la nature impermanente de notre existence.